Auteur : Juliette Lagrue
SEAQUAL™ : transformer les déchets marins en fibres recyclés
Née en Espagne sans faire de bruit, sans effet de manche ni grand soir, cette initiative pourrait s’avérer salutaire pour la planète. Résultat d’une démarche atypique, elle permet l’éclosion de nouvelles marques avec des messages forts. On en est encore aux balbutiements, mais les champs d'action ouverts sont susceptibles de faire bouger les lignes. Serait-ce suffisant ?
Notre panorama des entreprises vertes
À travers cet annuaire des solutions vertes, vous retrouverez 97 entreprises détentrices d'une solution responsable pratique et facilement applicable à votre business model pour le rendre plus respectueux de l’environnement.
Seaqual qu'est-ce que c'est ?
Naissance de la fibre Seaqual
SEAQUAL est née en 2016 d’une volonté conjointe de la marque Ecoalf, du groupe textile Santanderina et du filateur Antex qui souhaitaient transformer les déchets marins en polyester 100% recyclés. Deux de ces acteurs sont des industriels, démontrant ainsi qu’il est possible de faire évoluer des grosses machines et que des industriels peuvent se réinventer.
À l’origine, les fondateurs souhaitaient soutenir une communauté de pêcheurs barcelonais confrontés aux déchets plastiques toute l’année : mettre en place un partenariat basé sur la collecte des ordures leur a permis de dégager des petits profits supplémentaires.
Ils ont investi en R&D pour proposer une fibre recyclée qui offre les mêmes propriétés et les même qualités qu’une fibre réalisée à partir de fibre de polyester vierge et ont commencé à vendre en B to B à des marques d’habillement, de chaussures, de mobilier, de décoration ou encore d’équipements automobiles.
Un réseau de collaboration vertueux : Seaqual friends - Seaqual licences
Mais, la vraie innovation SEAQUAL c’est la solution de licence pour laquelle a opté Michel Chtepa, dirigeant de la société : “Nous ne vendons pas des produits finis, mais un système de revalorisation des rebuts”.
Ainsi une filière d’upcycling des déchets plastiques marins en fibres textiles est née. Elle est constituée par des entreprises (principalement des filatures, des fabricants de textiles et des marques) licenciées, respectant une charte établie par Seaqual. “Nous proposons un système holistique. Une filature qui a obtenu notre licence pour transformer le polymère en fil doit définir son plan R&D avec nous. Et les fabricants de tissus doivent nous soumettre les nouvelles matières qu’ils développent pour que nous vérifiions le respect de la charte. Notre polymère est équipé d’un traceur ADN, une encre dont nous sommes les seuls à connaître la composition et qui nous permet de distinguer les fibres certifiées par Seaqual des autres.”
Le projet s’est considérablement développé et les récoltes de déchets se font selon des protocoles très variés selon les zones géographiques, en collaboration avec des ONG, des collectivités, des professionnels ou les populations locales. La firme a rallié l’organisme espagnol Fundación Futureway, membre de l’UN Global Compact.
La présence d’Ecoalf, marque très engagée dans la consommation responsable et la recherche de modèles vertueux, démontre une demande de certaines marques d’avoir des alternatives pour s’exprimer. Suivant leur exemple, de nombreuses marques engagées font ce pari. Nous allons vous en présenter certaines (Corail, Hero, 1083) dans les prochains jours sur notre compte Instagram, mais il nous semblait important de mettre en avant les différents usages à travers les cas d’Apnée et de Héro. Découvrez également notre article sur les marques engagées dans l'upcycling.
Une opportunité de se responsabiliser pour les marques
De nouvelles marques prennent le pari de Seaqual
Apnée est une marque de maillots de bain, fondée par des passionnés de la mer en 2017. Au départ ils transcrivaient cela uniquement dans leurs imprimés, mais très vite ils ont pris conscience que leur démarche devait aller plus loin. C’est pourquoi ils ont décidé de se rapprocher de SEAQUAL pour développer la gamme océan, faite de matières 100% recyclées. Une part des ventes de cette gamme est reversée en don à l’association Surfrider qui oeuvre à la protection du littoral.
Héro a lancé sa première gamme de sweats sur l’initiative SEAQUAL. Les sweats sont considérées comme un des produits les plus polluants pour l’utilisation d’eau et de produits chimiques. Héro souhaite créer une marque forte, qui à la manière d’Ecoalf, pourrait rapidement proposer un ensemble de basiques écoproduits fort du succès de la campagne de lancement Ulule.
Des gros groupes qui se transforment
Jean Moreau, fondateur de PHENIX, un social business visant à accélérer la transition vers un modèle d’économie circulaire, et instaurant progressivement un nouveau standard dans la gestion de invendus et des déchets, explique souvent que les nouvelles initiatives sont des précurseurs pour ouvrir la voie et montrer qu’il existe des modèles alternatifs mais l’enjeu est que les gros groupes adoptent ses démarches et changent fondamentalement leur mode de fonctionnement…
Or une initiative comme celle-ci peut permettre à de grands groupes de s’emparer de la solution tout en préservant leur business model. Nina Ricci, qui appartient au groupe PUIG, fait notamment partie des marques licenciées. On espère qu’un jour eux ou d’autres en feront un marqueur fort de leur identité, préalable indispensable pour que cela devienne une norme.
On salue l'initiative, même si on reste circonspect. On se demande surtout si cela sera suffisant.
Seaqual est-il suffisant pour faire bouger les choses ?
Que doit-on faire pour que les acteurs changent de comportement (producteurs, conso...) ?
Cette solution est vertueuse parce qu’elle utilise notre besoin de consommer pour financer le traitement des déchets et permet ainsi à différents acteurs (les marques, les consommateurs) de préserver leur mode de fonctionnement tout en nettoyant la planète. Ce deal gagnant/gagnant semble être un passage obligé pour faire évoluer les mentalités. Mais on peut s’interroger sur l’évolution de ces mentalités si elles ne changent que lorsque c‘est dans leur intérêt.
La crainte d’un énième coup d’épée dans l’eau est réelle. Le jour où l’obligation de mettre l'éco responsabilité au coeur de la stratégie marketing des marques prendra fin, que restera-t-il de ces initiatives ? L’urgence environnementale devra-t-elle garder la tête d’affiche pendant longtemps pour que les organisations se transforment durablement ?
Dans la conjoncture actuelle et face au coronavirus, on s’aperçoit que les acteurs refusent de changer de comportement jusqu’au moment où, contraints, ils changent de manière radicale. En sera-t-il de même pour la consommation ?
Cette crise va-t-elle nous faire prendre conscience que pour préserver la planète il est au moins aussi important de garder un pull 10 ans que d’acheter un sweat ecoproduit ? Que d’autres valeurs et rapports au temps sont possibles ? Que d’autres modèles de consommation notamment axés sur l’usage et non la propriété sont possibles avec par exemple la location, le partage, etc…
Comment arriverons-nous en tant que société à évoluer vers un modèle plus soutenable ?
Nous sommes résolument tournés vers les solutions et ne croyons pas les apôtres de la décroissance. Ainsi une initiative comme celle-ci est porteuse d’espoirs, nous souhaiterions que de nombreux acteurs s’en emparent et que beaucoup d’autres initiatives semblables se développent. Toutes les solutions sont les bienvenues mais elles ne doivent pas nous empêcher de repenser collectivement nos modes de fonctionnement, passage indispensable pour permettre la construction d’un véritable système vertueux. En paraphrasant le proverbe, Paris ne s’est pas fait en un jour, faut-il saluer les premières pierres ou considérer qu’elles sont inutiles sans la présence d’un Haussmann ?
Sources :
Textile Addict
Textile Santanderina
Seaqual
The Good Life-The Good Hub