Auteur : Mathieu Grandjean
Wholesale vs retail : comment choisir ?
Le big bang du commerce
Aux 4 coins de la planète, c’est l’heure de l’explosion des coûts pour les marques : matières premières, acquisition client, taux d’intérêt et financement, charges notamment énergétiques en boutique…
Après plus de 2 ans de Covid, où la survie de certaines était en jeu et la fin de l’aubaine pour les autres, toutes doivent réinterroger leur modèle de distribution pour être plus efficientes. Et au cœur de cette interrogation, on trouve un choix cornélien : wholesaler ou retailer ?
Wholesale retail définition et enjeux
Le wholesale est la vente par l’entremise de différents vendeurs, détaillants multimarques, outlets ou corners. A l’inverse, le retail est la vente directe au client final d’articles individuels. Cela passe soit par des boutiques en propre ou un eshop.
Ce sont donc deux modes de distribution que tout oppose : la structure du business model, la logistique, le stockage, les prix, l’image, l’exposition retail et immobilière, le staff…
Essayons de faire le tri entre idées reçues et véritables choix stratégiques.
Pour la suite de l’article, prenons tout d’abord un parti pris : vous avez un produit et il est bon !
Développer sa marque par le retail ou le wholesale ?
Quand on interroge son modèle de distribution, on se pose la question du développement de la marque.
Développer sa marque, c’est lui ouvrir de nouveaux horizons ; de type de clients, géographiques, de formats de distribution… A ce titre, et parce que l’allocation des moyens et des capitaux est un enjeu et une contrainte pour toutes les marques, le wholesale business revêt la cape de superhéros : opportunité de toucher tous les marchés, du centre-ville à la périphérie, de la France au monde, pas ou peu de staff en boutique, pas ou peu d’investissement ni de capex.
Croissance rapide, augmentation de la notoriété de votre marque et de vos produits, et par ricochet, de l’appétit des autres distributeurs pour vous avoir en catalogue !
Néanmoins, croître vite et loin, c’est s’éloigner de sa base, c’est rendre le barycentre moins représentatif de l’ensemble des points. Et en termes moins mathématiques, c’est perdre en réactivité.
Être en direct avec le client final permet au contraire de mieux comprendre les tendances et de les anticiper. Un contrôle total « du puit à la pompe » comme disait Rockfeller. De la production aux yeux de vos clients. Cette proximité de toute la chaine permet une réactivité décuplée.
Les vendeurs sont d’ailleurs votre première source d’information (avant votre caisse !!!!). Le vendeur est en contact direct avec les clients, il connaît les raisons d’achat ou de non-achat, les impressions, des verbatims éclairants sur tout ce qui constitue votre marque, de la matière au prix en passant par le coloris ou le nom. Faites-lui confiance et interrogez-le ! Stockez cette information et traitez-la dans votre CRM.
D’un côté, la vitesse et l’abolition des frontières, de l’autre, la maîtrise et l’adaptabilité. Votre développement est donc structurellement impacté par le modèle pour lequel vous optez.
La question du business model
Qui dit modèle, dit business model. Là aussi, wholesale et retail s’opposent fondamentalement.
« Justice, juste ciel [..], on m’a dérobé mon argent. Qu’est-il devenu ? Où courir, où ne pas courir ? » Si le succès d’Harpagon est planétaire mais plus durable que celui d’Hollister, il pose surtout la question de courir en vain.
Le retail business s’appuie sur des investissements et des coûts de fonctionnement très élevés. Ouvrir une boutique en propre implique d’acquérir un fonds de commerce, de payer un loyer, d’aménager le local, d’engager une force de vente sur un volume de vente limité. C’est donc un engagement dans le temps, bilanciel, qui suppose des capacités de financement et donc un historique solide et stable. Tout l’inverse du wholesale business où seuls les stocks nécessitent des fonds. De la même manière, les volumes de vente sont en faveur du wholesale qui permet de toucher des volumes de clients bien plus importants.
En revanche, la structure de marge est diamétralement opposée. Les distributeurs ou détaillants multimarques achètent à prix bien plus bas voir en drop-shipping. Par ailleurs, cela n’assure pas de sortir les stocks du bilan de la marque. A l’inverse, le retailer dégage des marges bien plus confortables et peut adapter ses prix.
Quel impact sur l'expérience client ?
Car oui au final et au risque d’enfoncer des vitrines ouvertes, celui qui achète, c’est le client final et l’image qu’il a de la marque est primordiale.
Et là encore, nous allons opposer deux concepts : notoriété et fidélité.
Faire connaître la marque au plus grand nombre assure une notoriété à la marque et par conséquent des ventes. Mais il faut dépasser cette notoriété pour aller vers l’engagement des clients et la création d’une communauté.
Lorsque vous confiez votre produit à un distributeur, vous lui confiez aussi la responsabilité de transmettre l’image et l’identité de votre marque auprès du consommateur/utilisateur final. Vous devez aussi aligner le marketing qui reste souvent de votre ressort avec l’expression de marque in-store que vont mettre en avant vos détaillants multimarques et vous différencier pour émerger de la masse.
Le retailer a lui la possibilité de cibler une clientèle sur-mesure, c’est-à-dire d’adapter le marketing et l’image de marque à une clientèle très identifiée et particulièrement susceptible d’être intéressée ; de former sa force de vente possédant une parfaite connaissance de l’esprit et des codes de la marque. Mais cette clientèle est limitée à l’environnement de ses boutiques en propre.
Il faut donc prendre en compte la personnalité de l’équipe dirigeante et la mentalité des équipes, l’identité de la marque, la cible et la manière de l’atteindre pour convenir de la stratégie la plus adaptée.
Wholesale ou retail, faut-il vraiment choisir ?
Bien entendu, rien n’empêche de faire les deux. D’un côté, optimiser son contact client, son market fit et de l’autre, se développer rapidement grâce au wholesale business, fort de ces enseignements retail.
Néanmoins, le meilleur des deux mondes n’est jamais sans contrepartie : la mise en concurrence de vos propres produits, la problématique prix et l’identification de quels coûts sont portés par quels produits peuvent être des difficultés majeures pour les marques.
Le retailer peut faire de la place dans sa boutique (off ou online) pour des produits qui partagent son ADN, ses valeurs, son modèle de rentabilité. C’est l’occasion d’élargir sa gamme pour retenir des clients, de mieux rentabiliser ses espaces… Il devient alors wholesaler pour d’autres marques !
Il y a donc une compatibilité possible des deux modèles dans laquelle la marque leader prend dans son sillage d’autres acteurs et joue le rôle de locomotive.
Enfin, les marques peuvent opter pour des modèles mixtes (showrooming, flagship) associés à des distributeurs pour faire vivre l’image de marque exclusive sans se couper du poids des distributeurs.
Comment choisir entre le wholesale et le retail ?
De nombreux groupes qui avaient historiquement opté pour le wholesale (la cosmétique par exemple) ont désormais érigé le DTC (direct to consumer) en priorité de développement car le contact client est devenu roi. Mais c’est aussi car ils ont assis une notoriété forte sur des années de wholesale qui leur permet aujourd’hui de tenter l’expérience. Celle-ci ne se révèle pas de tout repos face à la grogne des distributeurs traditionnels (Sephora, Marionnaud…) et face aux changements structurels que cela implique (changement de culture d’entreprise, nouveaux métiers…).
Des acteurs comme Veja font maintenant le choix de la distribution en leur nom propre. Depuis 2008, 20% des boutiques multimarques ont d’ailleurs disparu.
Ils vont structurer des bases de données précises permettant d’avoir une meilleure connaissance du client final, et de pouvoir mieux le servir.
Mais les secousses récentes et la hausse exponentielle des coûts d’acquisition client peuvent rebattre les cartes.
Comment intégrer le wholesale dans sa stratégie ?
Il existe plusieurs stratégies d'implantation. Toutes impliquent d'intégrer et de dédier une équipe pour être présent sur le terrain, auprès de vos revendeurs. L'enjeu, vous l'aurez compris, est de maintenir une proposition de valeur fidèle à votre identité de marque et véhiculer votre ADN.
Recrutement en interne
Vous pouvez décider de construire votre propre équipe commerciale. Celle-ci, formée à votre ADN de marque, sera en charge de la formation et de l'animation des équipes directement chez vos revendeurs.
Agence commerciale ou commerciaux indépendants
Vous pouvez aussi faire le choix d'externaliser l'animation des équipes de revendeurs en faisant appel à des commerciaux externes à votre activité. Vous pouvez soit leur confier le développement de votre stratégie wholesale dans sa globalité, soit faire appel à leurs services de façon ponctuelle (en fonction de votre saisonnalité par exemple.)
Salons professionnels et relations presse
Enfin, vous pouvez choisir de vous imposer au sein d'un réseau de distributeurs spécialisés (pharmacies, épiceries fines etc.). Un bon moyen de gagner en visibilité dans ce cas, est de déclencher un bouche à oreille positif, de développer votre présence sur les salons BtoB pour faire découvrir, tester et convertir de potentiels revendeurs ou encore, de miser sur les relations presse pour rassurer les revendeurs de sa catégorie.
Exemple wholesale vs retail : les marques horlogères
Huit grands acteurs se distinguent (Rolex, Richemont, Swatch Group, LVMH, Patek Philippe, Bulgari, Chopard et Gucci) qui contrôlent plus de 90% de l’horlogerie de luxe.
Swatch Group et Richemont détiennent à eux seuls 27 des principales marques horlogères (18 chez Swatch Group, 9 chez Richemont) parmi les plus prestigieuses : Breguet, Blancpain, Omega, Jaquet Droz pour Swatch Group; Cartier, Piaget, IWC, Jaeger-LeCoultre, Vacheron Constantin ou Baume & Mercier pour Richemont.
La distribution et la vente au détail de l’horlogerie sont aujourd’hui encore largement assurées par des tiers, en Suisse comme à l’étranger.
Le regroupement des marques commencent à changer les choses, en effet, les moyens à disposition sont autres. Après avoir, dans un premier temps, intégré et concentré leur production, les groupes horlogers convoiteraient les marges confortables de la distribution. Swatch Group, premier groupe horloger mondial, «dépend» ainsi d’un réseau d’environ 40 000 points de vente indépendants dans le monde pour écouler ses montres et pour assurer une partie du service après-vente.
Les groupes horlogers cherchent de plus en plus à intégrer le plus loin possible la chaîne de distribution pour toucher le consommateur final. C’est ainsi que l’on voit, depuis quelques années, les marques multiplier l’ouverture de boutiques exclusives, en nom propre, ou en partenariat avec des détaillants. Depuis 2006, l’on a pu constater l’ouverture par Audemars Piguet d’une boutique exclusive à Paris, par Vacheron Constantin à Moscou. Pendant la même période, IWC ouvrait un magasin à Zurich.